J’ai lu “La fin des monstres” de Tal Madesta
Honnêtement, je n’aurais pas connu l’existence de ce livre-témoignage si je ne suivais pas de près les mouvements féministes et de défense des droits LGBTQIA+
C’est à travers la promotion qui en a été faite par le revue la Déferlante que j’ai eu envie de m’y plonger. En effet, je suis une grande lectrice de témoignages, quels que soient les sujets, qu’ils servent ou non ma pratique professionnelle.
Sous-titré “récit d’une trajectoire trans”, ce livre nous emmène dans l’univers, les doutes, les révoltes de Tal Madesta, journaliste indépendant et auteur.
Je ne rentrerai pas dans les détails du récit ici, car ce n’est pas mon propos. Je préfère partager ce que cette lecture a fait bouger en moi.
Ce qui m’a interpellée, c’est combien on n’imagine pas le “parcours du combattant” qu’est le quotidien des personnes trans, dans leur devenir identitaire. Je crois assez fermement que la quête identitaire (qui suis-je? quelle est ma place dans cette vie?) est profondément humaine, surtout dans nos sociétés où nous avons le luxe de ne pas combattre pour nous nourrir, nous vêtir, nous loger, etc. (Bien que pour certains cela soit le cas). Cependant, certains ont plus ce luxe que d’autres. En tant que femme cis, j’ai été et suis confrontée à la société patriarcale et aux violences sexistes et sexuelles depuis l’enfance. En revanche, je n’aurai jamais l’expérience d’être une femme racisée, par exemple. Cette lecture, parmi d’autres, m’a permis de pousser encore plus loin la mise en perspective d’une altérité qui me sera toujours fondamentalement étrangère.
J’ai aimé être témoin des doutes, des stratégies, des craintes aussi, dont l’auteur nous fait part. De ses émotions, complexes, assumées plus ou moins, selon qui ou ce qui les déclenche. L’authenticité de ce récit. Et au delà, de comment il s’agit parfois de se grimer pour coller aux attentes d’un autre institutionnel, qui va valider ou non la prétendue légitimité des démarches entreprises.
Cela m’a fait réfléchir sur ma posture de psychologue clinicienne aussi. En effet, une partie du travail (en tout cas pour les psychologues qui comme moi ont travaillé en institution psychiatrique ou dans le milieu du handicap) est d’avoir une sorte de vigilance à des signes qui pourraient nécessiter une prise en charge médicale. Le plus souvent en libéral, c’est une forme de surveillance d’une symptomatologie dépressive ou anxieuse. Car il nous faut avoir conscience de nos limites, et parfois l’intervention de la médecine est nécessaire. Il y a une vigilance à ne pas “dramatiser” ou “interpréter” à tort une dimension de la souffrance, car une partie de la souffrance vient de la société, du groupe auquel l’humain a besoin de s’affilier. Quand la société est rejetante, comment ne pas en pâtir?
Etre lucide sur les stéréotypes est une chose, s’en défaire est hélas impossible. En revanche, on peut choisir ce que l’on en fait. Je trouve que ce texte cible exactement cette responsabilité en moi, en nous. Ce que l’on ne connait pas, on le catégorise. Le cerveau est ainsi fait. Et donc ce que l’on peine à catégoriser nous met en difficulté. Mais on a toujours le choix. Le choix de l’écoute, de la rencontre, de la surprise. De proposer, de partager, d’entendre la réponse. Chaque “trouble” dans la rencontre est une opportunité de grandir en tant que personne humaine.
J’ai lu “Survivre à ses parents toxiques” de Mariko Kikuchi
« Survivre à ses parents toxiques », Mariko Kikuchi, Editions Akata. Traduction de Alexandre Fournier.
« Survivre à ses parents toxiques », de Mariko Kikuchi, Editions Akata. Traduction de Alexandre Fournier.
Les mangas, ce n’est pas que pour les enfants ou les ados… Merci à ma consoeur Caroline Laurans qui m’a fait découvrir cette Mangaka dont il s’agit du second ouvrage.
A travers une galerie de dix portraits, Mariko Kikuchi nous amène à la découverte de multiples formes que peuvent prendre les liens toxiques.
Si la dénomination “parent toxique” est souvent l’usage, je préfère parler de “lien toxique”, car comme on le découvre à travers différents personnages, c’est bien le lien relationnel qui est perverti, néfaste. De plus, si l’on enferme la personne sous cette étiquette de « toxique » ou de « pervers », on retire toute possibilité d’accueillir la complexité. Ainsi, le père de Mariko n’est pas “toxique” dans ses relations amicales par exemple, alors que les modalités relationnelles intrafamiliales sont catastrophiques.
En revanche, la toxicité du lien peut justifier à elle seule le sous titre « vous n’êtes pas obligés de les pardonner ». Car non, on n’est pas obligé de pardonner des comportements destructeurs, ou empêchant même la construction stable de soi, sous prétexte qu’il s’agit de ceux qui nous ont donné la vie. Comme savent si bien le dire les adolescents « j’ai pas demandé à vivre ».
Un des éléments que j’ai aimé dans ce manga, c’est qu’il montre la transversalité des ressentis des enfants aux prises avec des situations très différentes. Un sentiment de normalité de la famille dans un premier temps, avec une minimisation du vécu ensuite. Lorsqu’ils découvrent une altérité familiale, il y a un effet de choc. Le bon, le doux, l’ordinaire peuvent apparaitre comme ennuyeux. Des situations similaires vont être minimisées. Ou encore, la honte ressentie fera cacher profondément la réalité aux regards extérieurs, voire à soi même. On s’approche alors de ce qui a été nommé un faux-self, un soi composé pour le monde extérieur, qui permet de protéger le vrai soi bien à l’abri… au point de ne parfois plus trop savoir qui l’on est. Et ceci d’autant plus quand on n’a pas pu côtoyer un autre regard.
Car c’est à travers la rencontre que la prise de conscience peut avoir lieu.
C’est à travers ce qu’un autre va en dire, en entendre, en voir, que les questions peuvent advenir.
Ainsi, dans la thérapie c’est la rencontre qui prime. Puis, c’est à travers ce qui vient se rejouer dans les modalités relationnelles que l’on peut comprendre, transformer le regard que l’on porte sur soi et sur son histoire. Penser pouvoir rester seul pour réparer son rapport aux autres est un leurre qui prend sa racine dans ces rapports initiaux à ceux qui ont constitué notre environnement dans la petite enfance. Ce qui a été abimé, meurtri par une relation peut se travailler à travers une autre relation. Certains couples vont remplir cette fonction là par exemple, comme le montre le personnage d’Artesia.
Ce livre permet quelque chose de très important : sortir de la solitude. Banaliser les ressentis de ces enfants devenus adultes qui pensent qu’ils sont responsables. C’est banal que l’enfant se sente coupable, responsable. Banal mais injuste. C’est un renversement de culpabilité qui permet de survivre à la situation, mais qui est injuste. Même si les cicatrices restent car on ne refait pas le passé, en prendre soin est important.